lundi 15 septembre 2008

Après un long tunnel, la lumière... Premiers combat avec les thés des rochers

Nouveau voyage au pays du thé: après Taïwan et ses merveilles crémeuses et fleuries, après le Yunnan et ses raretés anciennes, après le Guangdong et ses merveilleux vieux théiers solitaires, j'avais depuis quelques temps envie d'aller voir du côté du Fujian et des Wu Yi Yan Cha, les thés des rochers. Je dois, l'avouer, dans ces envies de découvertes, ils sont des blogs qui n'y sont pas pour rien... Les intéressés se reconnaîtront je pense...

Six septembre: premier samedi après la réouverture de l'antre de Maître Tseng... Date immanquable, et hautement dangereuse pour mes finances - j'avais déjà au courant de ce début de mois fait une sacrément belle commande chez Yunnan Sourcing. Je ressort de ce magasin des secrets, conseillé par Gilles, avec un Lao Jun Mei et un thé qui a fait couler de l'encre et provoqué une génération spontanée de commentaire, leur fameuse cinquième grande toge rouge. Auquel s'est rajouté une merveille dont je vous reparlerais sous peu, le Mi Lan Xiang 5...

C'est parti pour le voyage.

Mon premier contact avec les thés des Rochers, le soir, à la lumière des bougies, devant mon Lao Jun Mei. Essai en théière. Dosage léger, enfin autant que pour un Dan Cong léger. Infusion longue: 30''+10 secondes à chaque fois.

Mais la magie n'opère pas. Le thé a de la puissance, comme je n'en n'avais jamais rencontré chez un oolong, rond, boisé, mais fumé et très sec... Je ne sens que la torréfaction. Au loin, c'est comme si des notes subtiles se présentaient à moi, mais je n'arrive pas à les percevoir, comme si le thé était aphone et tentait de me crier une vérité qui ne voulais pas sortir. Le lendemain, rebelotte!

J'essaie ma grande toge rouge, en variant les dosage, avec des infusions beaucoup plus courtes. Le thé est plat, sans grand reliefs: même boisé, même sécheresse, mêmes cris aphones. Je ne comprends pas, je ne peux pas être tellement dans le faux! Je n'ai plus raté autant un thé depuis si longtemps. Et voilà que les thés que l'on encense tant me laisse autant de marbre? Il y a quelque chose qui cloche. Et pourtant dans la théière réchauffée, les feuilles encore sèches embaument des notes si agréable!

Il faut faire quelque chose. Face à ces doutes, je décide de revenir humblement aux bases, je laisse quelques jours s'écouler où je retourne à mes pu ehr, à mon baozhong, pour prendre du courage pour ce combat décisif contre l'Inconnu. Je m'arme de mon Gaïwan . Un chant ancien me vient en tête:

Voyez cela, je vois mon père,
Voyez cela, je vois ma mère, mes soeurs et mes frères.
Voyez cela, je vois tous mes ancêtres qui sont assis et me regardent.
Et voilà, voilà qu'ils m'appellent,
et me demandent de prendre place à leur coté,

dans le palais de Walhalla, là où les braves vivent à jamais.

Petit hommage à un chant guerrier norrois et au groupe Tyr

Le combat peut commencer! Contre le Da Hong Pao n°5... Environ 4 grammes de feuilles (je n'ai pas plus de précision). Les feuilles ont une forte odeur, qui prend au nez... pâtissier, un peu piquant...

Préchauffage de mon gaïwan, assez long, au point qu'il soit à peine maniable sans se brûler les doigts. Rinçage très léger des feuilles, juste pour qu'elles s'hydratent, qu'elles se dépoussièrent.
Des tasses lourdes en céladon, voici le tantô que j'ai choisi. Si le combat échoue, je ne perdrais pas mon honneur, je n'aurais plus qu'à enfoncer ma lame dans l'abdomen et y faire une croix pour libérer mon âme. Avec le vainqueur pour témoin.

Pour m'aider, j'ai choisi de m'armer de wen xiang bei comme bouclier, la tasse à sentir, chose de plus en plus rare pour moi, car je le trouve trop analytique pour mes thés taïwanais... J'y préfère le palais au nez.

La tension est à son paroxysme, regardant dans les yeux de mon adversaire, je pouvais voir ma propre peur.

Première infusion:

L'eau juste au ras des feuilles, infusion courte, temps inconnu, avec le couvercle du gaibei comme seule mesure. Le thé est rouge orangé. La liqueur laisse apprécier des odeurs boisée et pâtissières de pâte à tarte levée légèrement sablée (celle qu'on utilise traditionnellement pour la zwatchkawai). Ou bien une pâte à tarte sablée comme on en fait par chezmoi, épaisse, avec autant de noisette et de noix que de farine, le chocolat en moins (car chez moi dans la pâte à Linzertart, il y a du chocolat...) quelque chose de très gourmand.

Passage donc par la tasse à sentir. Et là chose étonnant. Au départ, ce sont les notes de torréfactions qui ressortent: un peu fumée, très boisée. Puis ce sont les notes caramélisée qui viennent (pas du salidou comme pour le Dong Ding de Stéphane, du vrais caramel). Elles sont suivies de notes pâtissières, des notes de tarte, de fuits secs un peu, de boulangerie (pain levé). Et enfin des fruits confits, du coing et de la prune... Le thé s'est révélé. L'étonnant dans tout cela, c'est l'ordre d'arrivée, totalement inversé par rapport aux thé taïwanais que je connais qui font d'abord ressortir le fleuri puis le fruité et enfin le caramel, la cacahouète et la noix de coco...

La liqueur à une puissance inégalée. Le combat est rude, je ne sais pas encore qui vaincra, mais j'ai trouvé le point faible de l'adversaire. Le thé développe des goûts boisés et pâtissiers très forts, et un fort côté rond et cireux, huileux, un peu camphré. D'un autre côté, cette aphonie reprochée est encore un peu là, mais beaucoup moins. D'habitude, les oolongs que j'affectionne ont une grande légèreté et un subtilité adorable, comme une aile de papillon ou le parfum d'une fleur que l'on respire à la corolle, il demandent de la douceur pour se révéler. Ce thé est un combat, au milieu de la plaine, Austerlitz, ou Waterloo, selon le côté où l'on se trouve... Et au milieu de ce vacarme des canons et des fusils, c'est comme si un cri d'enfant se levait, ténue, mais prenant, et j'ai envie de découvrir l'enfant, mais pour l'instant, son cris est encore indéfini... Où est-il, que dit-il? Le thé a encore à m'apprendre, je n'ai pas encore vu sa botte secrète.

Infusions suivantes:

Après ce choc frontal initial, la quantité d'eau dans le gaibei a dû augmenter, les temps d'infusion aussi, les notes décrites sont bien là, toujours aussi présente. La puissance aussi, presque submergente. Avec les infusions, le thé commence à s'assagir. La puissance s'estompe peu à peu, la rondeur aussi, le boisé s'atténue, mais le thé est toujours très présent en bouche, la note ténue prend de l'importance, sans que je ne puisse la définir...

Cinq en infusions en tout. Le combat devra s'achever tel quel, sans vainqueur, sans vaincu, le status quo. Je n'en puis plus, le thé non plus. Chacun a donné tout ce qu'il pouvais... Fin de la bataille.

On reportera à une expérience plus poussée le choc décisif. Mais aucun des deux n'est sorti indemne.

8 commentaires:

T.alain a dit…

he bien bravo Soî...je croyais y être,j'ai lutté avec toi...pour moi aussi ça a été un vrai combat.Ce thé est un sacré guerrier.De plus je retrouve les grandes lignes que j'ai trouvé dans ce thé,les mêmes sentiments aussi.
Monsieur le DHP n°5 vous êtes un grand bonhomme.Mais demain en Gaîwan vous passerez à la casserole...
Bravo! bon je le relis ton article,ça fait du bien aux papilles...

Soïwatter a dit…

C'est vrai que c'est un thé de combat. Mais le Lao Jun Mei me semble aussi l'être, il faudra voir ce que donnera la confrontation.

J'ai été beaucoup emballé par ce thé, autant gustativement qu'intellectuellement. C'est tellement différent de ce que j'avais goûté jusqu'à présent. Très complexe.

Toutefois, les deux rochers n'ont pas fait l'unanimité à la maison. Mon amie le trouve trop torréfié et dégageant selon elle des goûts fumés qui ne la convainquent pas du tout. Ah, les goûts et les couleurs...

T.alain a dit…

-Lors de ma prochaine commande à la M3T(pas avant Noël quand même),je testerais des Rochers moins torréfiés,peut-être un peu + fruités-floraux.
Sophie a un peu le même sentiment que Loutarwen concernant ces rochers très torréfiés,serait-ce une attitude strictement féminine?Flo nous dirait "certes non!"mais elle spécifie bien que ces thés s'adressent à des palais un peu "rodés" aux notes de torréfaction.Ce qui fait un grand Rocher c'est aussi le fondu;que la torréfaction ne couvre pas les autres goûts.
Je m'en suis fait un ce matin (gfc je voulais de la texture) et ...j'ai perdu ce round...un thé pas facile.

geneviève meylan a dit…

j'ai pour ma part un Mi Lan Xiang de la m3t qui m'a laissé 1 fort agréable souvenir...ceci me donne envie de le regoûter. par contre, je ne sais quel est son numéro !....
merci pour cette description

Anonyme a dit…

ça n'a pas l'air de tout repos! Moi je suis plutôt en train d'apprivoiser les oolong de Stéphane et de redécouvrir les miens par la même occasion, c'est presque du boulot!! (évidemment j'exagère)

Raphael a dit…

Le DHP 5 trop torréfié ?
Pardon, mais tu as dû le rater.
Les n°5 et N°6 sont d'une grande délicatesse et bien élevés. Ils ont eu le temps de se calmer et la torréfaction est aux petits oignons.
Essaie des infusions de 15" (4x), puis 30" pour 4 ou 5g de thé avec une cartouche Brita neuve.

alain a dit…

Gilles m'a "confessé" une voire deux re-torréfactions pour le DHP5 mais déjà assez éloignées...
Je comprends assez bien ce que veut dire Soï,ces thés sont assez differents des thés Taïwanais dont il parle et pour une découverte des TR, il faut passer le cap de la surprise et des notes de torréfaction qui sont assez présentes pour aller chercher le reste...J'ai essayé 5gr dans 11cl et 15"X3 et j'ai trouvé que ce thé ne donnait pas "tout" dans ce type d'infusion,je l'ai préférer dans des infusions + longues.J'ai l'impression que + un TR est torréfié + les temps d'infusion doivent se prolonger...

Soïwatter a dit…

Raphaël, je ne dis pas le contraire. Il est vraiment magnifique. Mais quand tu viens de passer une dizaines de mois au milieu des taïwannais et des Dan Cong, quelle claque! Mon palais peu aguerri n'est pas arrivé à apprivoiser du premier coup les Rochers, et particulièrement la torréfaction. Je n'arrivais pas à passer outre ces notes.

Et quelle puissance des notes boisées et patissières, de confiserie. Une merveille! Maintenant, j'ai réussi à me faire le palais, et j'adore... Mais comme Alain, je préfère des infusions un peu plus longues, 35''(x2) puis un incrément de 5'' pour les 4-5 suivantes... Je trouve que ça fait ressortir les notes pâtissières gourmandes et les notes de fruits confits, alors qu'avec plus de thé et des infusions plus courtes, c'est les notes boisées qui ressortent.

Et le Lao Jun Mei que j'avais si lamentablement raté (et c'est peu dire), vous en entendrez parler très bientôt, c'est que du bon...