Nous sommes le 5 Janvier 2009: demain, les mages vont visiter l'enfant-roi, et la fin de leur voyage se fera cette année sous un épais manteau blanc, car, ici à Paris, il neige... Reflétée par la fenêtre de mon bureau, ma tasse fume les volutes d'un Tamaryoku Ichibancha, comme pour conjurer le froid sibérien qui nous amène ses étoiles argentées...
Pour bien débuter cette année, j'ai une petite expérience à vous présenter. Il y a quelques temps, Alain nous a proposé une idée similaire, en
toastant un thé des rochers dans son grille pain pour essayer de lui donner un petit coup de fouet. Aujourd'hui, c'est à moi de jeter le gant, mais nos armes sont différentes!
Premier essai de torréfaction, hier soir. Sous l'œil dubitatif de mon lapin nain...
Je suis l'heureux propriétaire d'un soit disant
Dong Ding. Soit disant... Je ne remets d'aucune manière en doute la provenance de ce thé, il provient bien de la région de
Nantou, certainement de
Mingjian. L'explosion florale, la rondeur et la
longueur en bouche déjà bien sensible, ce thé est d'une belle qualité. Mais le bouquet qu'il nous présente le rend impossible au gong
fu cha: géranium et lys, avec une puissance digne d'une essence de fleur, et le géranium, Dieu seul sait combien il a voulu cette essence puissante...
Mais pour moi, un
Dong Ding, ce n'est pas que cela. Ce thé est faiblement oxydé (20% d'oxydation) et pas torréfié, juste séché dans le
wok... Et c'est à que le bât blesse. Peut-être ai-je été élevé à mauvaise école, pour avoir côtoyé dès mon jeune temps d'amateur de thé les
Dong Ding de torréfaction classique de
Teamasters. Deux seuls choix se présentaient à moi: le feu ou la terre. Mais il aurait été dommage de rendre ce thé à la terre, dommage pour le fermier qui a élevé ses théiers, et crève coeur pour l'amateur qui sait qu'il pourrait faire quelque chose. Il ne me restait
qu'à faire passer à ce thé
l'épreuve du feu...
Or, comment torréfier un thé lorsqu'on n'est pas producteur ou maître de thé? Le grille pain? Heureusement, je n'en ai pas, car je trouve cette solution quand même un peu brutale. La poêle? C'est bien cavalier pour un débutant qui ne sait pas où il met les pieds. Je choisi de dorloter ce thé, dans la chaleur douce et bien répartie d'une terrine en grès, dans un four
thermostaté pour les essais de température, et me balader sur la pente de la cuisson du sucre avec pour seul appareil de mesure mon nez:
- Nappé (100°C): le sirop forme une couche mince sur l'écumoire
- Petit filet (101°C): un petit filet se forme entre les doigts mais ne tient pas
- Petit perlé (105°C): le filet ne se brise pas ; il se forme de petites perles à la surface du sirop
- Grand perlé (107°C): il se forme de grosses perles à la surface du sirop
- Soufflé ou petite plume (109°C): si l'on souffle sur l'écumoire, le sirop se détache en bulles solides
- Petit boulé (115°C): le sucre roulé entre les doigts forme une boule molle
- Gros boulé (121°C): la boule de sucre est plus ferme et reste ronde
- Petit cassé (125-130°C): le sucre se casse net mais colle aux dents
- Cassé (135-150°C ): le sucre se casse net et ne colle plus aux dents
- Petit jaune (155°C): le sucre commence à jaunir (il a perdu toute son eau et commence à brûler)
- Grand jaune (165°C)
- Caramel (170-180°C)
- Caramel foncé (180-190°C): il faut arrêter la cuisson, sinon il devient amer.
Après avoir préchauffé la terrine à 100°, j'introduis 15g de thé dans la terrine, pour 15 minutes. Je vérifie à l'odeur toutes les 5 minutes et je remue mélange le thé. L'odeur fleurie reste, mais
apparaît une odeur de fenaison sèche. Je décide donc de passer à la température de la petite plume pour une demi heure, en vérifiant le thé et en le remuant toutes les 10 minutes, de peur de le brûler. Une odeur plus gourmande, un peu
noisetée se dégage, mais le thé ne se colore pas. Passage au petit cassé pour 30 minutes, même opération, sous le couvercles, des odeurs de pain grillé s'élèvent, mais s'effacent au bout de trente secondes, le thé ne colore toujours pas. Je décide de monter plus haut, entre le petit jaune et le grand jaune pour trente minutes. Des odeurs de torréfaction apparaissent, caramélisées et encore plus gourmandes, les odeurs fleuries ont disparu. Les feuilles sèches ont jauni. Je repasse à 120° pour un petit quart d'heure, puis je laisse le thé refroidir à l'air libre dans la terrine fermée pour qu'il ne reprenne pas trop d'humidité avant de le mettre au frais et au sec.
J'ai essayé le thé hier soir, après avoir attendu quatre heures. Le thé a totalement changé. La première infusion est bien caramélisée et un peu fruitée, assez gourmand, le côté fleuri a totalement disparu. Le côté fleuri réapparaît à partir de la seconde infusion, avec un pic pour la quatrième, puis
décroît doucement. En parallèle, les bienfaits de la torréfaction restent très présents (caramel, présence en bouche plus soyeuse) et reprends le pas à la sixième infusion sur le fleuri qui s'est adouci. La torréfaction est toutefois trop fraîche, il y a côté un peu agressif qui devient de plus en plus présent avec les infusions. Le thé mérite de se reposer un peu. Je le réessaierai dans une semaine ou deux, et si les résultats sont concluants, je retenterai certainement l'opération sur le reste du stock. Je monterai certainement plus vite haut en température et je jouerai plus sur la molette entre 140° et 170°C.
Après infusion, les feuilles ont vraiment changé de couleur. Au départ vert bouteille, voire vert sapin, elles ont vraiment jauni. Un très beau résultat au final, alors que je n'étais vraiment pas confient au départ. Après torréfaction, ce thé est vraiment devenu un
Dong Ding.