mardi 17 février 2009

Un Hung Shui de San Hsia arrivé à son âge de raison...

Pour déguster un bon thé, il faut se réserver hors du temps un moment particulier de quiétude et d'attention... Mais qu'en est-il pour les thés vraiment exceptionnels? Depuis quelques temps traînent dans mes bagages des petits monuments pour lesquels j'ai beaucoup de mal à trouver un point d'accrétion dans le continuum espace-temps où je pourrais leur faire honneur lors de ma dégustation... Parmi eux, quelques échantillons d'Alain pour lesquels j'ai bien envie de leur réserver le soin qu'ils méritent. Parmi eux aussi, mon Mi Lan Xiang 5, dont il me reste une quinzaine de grammes et que j'ai totalement redécouvert la semaine dernière après quelques mois passés à tout autre chose que des Dan Cong...

Et il y a ce thé, une petite rareté de Stéphane, un Hung Shui de San Hsia de 1990, dix-neuf ans déjà, presque un vieux thé (vieux dans ce cas veux dire par là plus âgé que moi... critère qui pour l'instant se limite au quart de siècle, une définition que je vais devoir revoir dans quelques années, car il me sera de plus en plus difficile de trouvé des thés "vieux" lorsque j'entrerais enfin dans mon second puis mon troisième quart de siècle...) Celui-ci a été vendu par un collectionneur taiwanais à Stéphane afin que nous puissions le goûter. Et il faut le remercier dignement et lui faire honneur. Il a été conservé depuis les années 90 dans une jarre hermétiquement fermée et n'a pas subit de retorréfaction. C'est ainsi vraiment le thé d'origine vieilli que nous avons la chance de déguster.

Ma seule expérience de wulong âge est pour moi ce magnifique Da Hong Pao n°5 de la Maison des Trois Thés, qui date de 1996. Un petit bijou pour un prix somme toute assez modique, mais qui ne laisse entrevoir aucune note liée à l'âge. Je laisse là grand soin aux spécialistes de me contredire, ma connaissance des vieux wulongs vraiment mince. Mais là, on est dans une toute autre atmosphère...

Les Hong Shui (eau rouge) sont une classe de thé assez à part dans le panel des thés taiwanais. Plus oxydés et torréfiés que les Dong Ding, ils ont une structure en bouche beaucoup plus gouleyante et me rappelle beaucoup les Beautés académiques de la Maison des Trois Thés, sûrement en est-ce, en tout cas, ils répondent bien à leur définition. Afin de "préparer mes papilles" et de voir un peu mieux l'effet de l'âge, j'avais aussi fait venir de taïwan son Hong Shui de cet hiver.

J'ai finalement trouver ces moments de calme dimanche après-midi, dans une journée tournant totalement autour du thé. Après une matinée autour d'un cube de 1987, et un jukro pour clôturer un repas léger (Saltimbocca alla romana), ce n'est qu'en fin d'après midi, après une promenade au parc m'ayant permis d'aérer mes papilles et surtout de me réhydrater les cornets que je me suis attaqué à ce thé hautement original. Je remarque que la sécheresse hivernale de nos appartement surchauffés a une très mauvaise influence sur mes capacités olfactives, mais ça c'est une autre histoire.

De quoi bien commencer une dégustation exceptionnelle. Donc dans ma petite Long Dan en Hong Ni, deux grammes de feuilles. Les temps d'infusion seront particulièrement longs: rinçage de 15' puis 2'/3'/3'30/4'/4'30/5'/6'/7'/8'/10'/12'/15'/2x18'(le lendemain matin)/18' (le lendemain soir).

Les feuilles normalement fortement compressées ont toutes plus ou moins commencé à se dérouler. D'après Stéphane, c'est un signe du vieillissement. D'un brun profond, elles sont toutefois beaucoup plus claires que celles d'un rocher de torréfaction traditionnelle. Elles ont une bonne odeur très douce et sèche, un peu épicée.

Dans la théière chauffée, les feuilles dégagent une bonne odeur douce de fruit confit. Il m'a fallu quelques temps pour réaliser ce que c'était, car cette odeur/goût se retrouvera tout au long de la dégustation, non seulement dans la tasse à sentir, mais aussi en bouche. Au début, j'avais en tête de la confiture de baie, mais j'avais du mal à mettre un nom dessus. C'est l'odeur caractéristique des framboise en train de confire lorsque l'on en fait de la confiture, assez au début de la cuisson, lorsqu'on trempe la kochleffle (cuillers en bois alsacienne) dans le confiturier pour voir ce que ça donne. Il y a aussi peut-être un peu de groseille mais ça, je n'en mettrais pas ma main à couper. Mais ce thé nous réserve bien d'autres surprises, et je prends ce mot en son sens le plus littéral...

Dès la première infusion, en plus de ce font omniprésent de confiture, il y a une note surprenante déjà assez présente, et qui va se développer et prendre une ampleur inconsidérable pendant les cinq infusions suivantes. Nous en sommes d'un thé vieilli et cette note en est bien la preuve. On est en présence d'un forte goût de mousse. Pas comme pour les pu ehr où l'on rencontre souvent des notes de racine, de mousse et de sous bois. Ici, il s'agit de la sphaigne verte la plus fraîche gorgée de l'eau de la rosée du matin. Surprenant, inattendu, désopilant surtout en association avec la confiture de framboise...

Ce thé est tout bonnement exceptionnel, et pas seulement dans sa palette olfactive. Tout au long des 15 infusions successives, pas une seule note d'amertume ni d'astringence. Une fine pointe de sel et un soupçon d'acidité relève la liqueur, mais c'est par le doux, le sucré même, que ce thé excelle. Un peu de boisé et un goût caramélisé, de coumarine diront les spécialistes, (merci Célia) typique des bons thés de Taiwan. Souvent les thés nous demandent de faire le travail d'analyse des odeurs qui le compose. Ici, il en est tout autrement, c'est le thé qui nous prends par la main et nous emmène là où il veut aller: il y a une clarté aromatique et une pureté des goûts et des odeurs que je n'avais jamais rencontré jusqu'à présent. Et la suite ne me fera pas me dédire.

Septième infusion: changement total de registre et d'atmosphère. Les notes de mousse disparaissent comme par enchantement, d'un coup. Les notes de confiture passent un peu en retrait. Le tout est remplacé par des notes extrêmement puissantes de plantes aromatiques. Tout d'abord la verveine, pour deux infusions, avec un peu de mélisse. Puis c'est au tour du romarin de supplanter ces deux goûts, et au bout de la dixième infusion, c'est du fenouil puissant qui me vient en bouche. La confiture refait alors son apparition. Au palais, c'est rond à l'extrême, d'une fraîcheur incomparable et ça reste en bouche pour longtemps...

En fait lorsqu'on fait la comparaison avec le hong shui de cette année, on est dan un monde totalement différent. Les notes de confiture, le boisé et la coumarine sont bien là, mais le tout a été supplanté par ces notes extrêmement fraîches d'abord de mousse puis d'aromates qui je suppose uniquement lié au vieillissement. Avec un âge similaire, on est au final très loin du DHP5. Loin de moi l'idée de comparer des genres de thés si différents. Mais ce que le rocher a gagné à l'âge et aux torréfaction successives, c'est de magnifier les notes capiteuses de fleurs et de fruits. Ici, on a vraiment gagné une toute nouvelle atmosphère.

Stéphane nous ventait les mérites d'un vieux oolong. Je pense qu'avec ce thé chacun des points qu'il aborde est dûment mérité...

Voyons les feuilles infusées: elles ont une belle couleur brun rouge. En regardant la base des feuilles, on voit que la cueillette a été faite manuellement. Elle sont très souples, un peu cassées par endroit et très souples et très déchirables et nous montrent une belle cueillette de Dong Ding...

S'il fallait résumer ce thé en quelques mots: magnifique, pur, surprenant, original, désopilant même... Exceptionnel!

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