mardi 30 septembre 2008

La Chanson de Charles Quint : Erik Orsenna

Dimanche soir, en ramenant mes parents Gare de l'Est après un rare Week-End en famille, Célia ne m'a pas permis d'emprunter les raccourcis habituels, m'entraînant à travers la salle des pas perdus en direction de... la librairie Payot. En entrant, tout en répétant dans ma tête Non! Tu n'achètera pas de livre! Non! Tu n'achètera pas de livre!, je suis tombé au beau milieu des sorties littéraires sur le nouvel Orsenna. Et je l'ai acheté... (enfin Célia me l'a acheté donc ça ne compte qu'à moitié)

Je pense qu'il ne faut pas préciser qu'Orsenna est l'un de mes auteurs préférés comme peu d'autres. Et je tombe sur une sortie littéraire dont je n'avais pas entendu parler? Malgré mes accès privilégiés à la base Electre? Non, c'est pas possible! Date de parution: mars 2008... Mars 2008? Il y a quelque chose qui cloche... Depuis un an que je suis différents blogs littéraires, il me semble qu'il n'y a que peu de sortie littéraire important qui me soient totalement inconnues... Et pourtant ce roman est totalement passé sous silence. Il me faut dès à présent réparer une telle injustice...

Ils étaient deux frères. Le cadet n’avait eu qu’un amour. Un seul amour depuis la jeunesse. Un amour un moment parti. Et puis revenu. Et puis épousé, trente ans plus tard, pour entrer ensemble dans la vieillesse. Peut-être aussi pour regarder avec moins de vertige le temps qui s’en allait ? L’aîné, dans ses jours les plus optimistes, se persuadait que lui aussi avait aimé. Était-ce sa faute si cet amour, la force d’amour qu’il portait en lui, s’était morcelé en de multiples, trop multiples visages, en de divers, trop divers et trop semblables corps ? Les autres jours, tous les autres jours et toutes les nuits, sans exception, il savait qu’il n’avait pas aimé. Ainsi vivaient les deux frères, dans la même ville mais chacun d’un côté du fleuve : le frère à l’amour morcelé (l’aîné) et son cadet (le frère à l’amour unique).

Ce livre est une histoire d'amours. L'amour fraternel que porte Erik Orsenna a son frère, difficile, antagoniste, mais toujours présent. Et l'amour qu'il porte à son soleil, rencontré après de longues années d'errance et d'amour morcelé, de rencontres passagères. Mais cette femme est morte seulement quatre ans après leur rencontre.

Comment vous expliquer d'un mot, vous qui ne l'avez pas connue ? Comment la saluer au plus juste, maintenant qu'elle n'est plus. Quel portrait d'elle puis-je toujours garder sur moi, que personne ne me vole, et pas même la vie qui passe ? J'ai cherché des ressemblances parmi les êtres humains, parmi les animaux et les plantes.

Et je n'en ai pas trouvé.
J'ai dû regarder ailleurs.
J'ai dû lever haut les yeux.

Cette femme était un soleil.

Dans ce roman, Orsenna rend hommage à cette femme qu'il a tant aimé. Il nous raconte son passé sans elle, son passage si fugace dans sa vie. Il nous conte sa mort, la déchirure, la longue recherche du fantôme de son aimée, tout autour de la terre, dans toutes les religions, les sciences... Et ce deuil qu'il n'arrive pas à commencer. Il nous raconte la persistance rétinienne où il voit encore sa femme. Qu'il va finalement croiser au détour d'une salsa. Et finalement le retour à la vie, entouré de ses amis qui essaient de le reconstruire.

Ce roman est une merveille... Émouvant, tendre, plein d'émotion, d'humour et d'auto-dérision. Et écrit avec cette langue toujours si belle, imagée, poétique, où l'on a l'impression que chaque mot est à sa place et que l'on aurait pu y mettre aucun autre. Je l'ai littéralement dévoré... Et j'ai adoré...

lundi 29 septembre 2008

Le secret de la petite chambre...

Avant de me remettre à vous parler de lectures plus sérieuses - j'ai plein de commentaires en retard, que je ne sais même plus si j'arriverai à vous parler de tous ces livres - laisser moi vous parler de deux nouvelles de l'entre-deux-guerres bien sympathiques.

En fouinant à la recherche de littérature asiatique chez Gibert Jeune, je suis tombé par hasard sur deux nouvelles anonymes, mais dont les auteurs ne peuvent être que Kafû et Akutagawa -et de nombreuses études littéraires ont été faites sur ces deux bijoux de la littérature érotique japonaise. Pour ceux qui ne le savent pas, ces deux auteurs sont les plus grands de l'ère Meiji - ou plutôt l'ère Taishô qui en est le digne successeur - , une période d'ouverture et d'expansionnisme du japon, d'un retour en force du pouvoir impérial et militaire, de la morale poussée à l'extrême... Des auteurs tellement grands que le principal prix littéraire japonais à pris le nom d'Akutagawa Ryūnosuke Shō.

Ces nouvelles ont été écrite sous des noms d'emprunt, car l'écriture de textes contre le pouvoir en place ou les bonnes moeurs étaient censurées et conduisait les écrivains directement en prison pour plusieurs années. C'est dans ces périodes troubles pour la liberté d'expression que ces nouvelles ont connus des débuts qui à eux seuls pourraient valoir un roman. Mais revenons à ces deux écrits: Le secret de la petite chambre de Kafū Nagai et La fille au chapeau rouge de Akutagawa Ryūnosuke. Tant dans leur histoire que dans leur style, les deux nouvelles sont relativement différentes. Ce qui les rejoint, et qui explique que Piquier les ait regroupée dans un seul recueil, c'est, outre leur histoire et leur période, la magie du verbe qui s'en dégage. Aucune perversion, aucune obsession, rien de graveleux ne transparaît de ces deux écrits. Dans un style assez épuré et très descriptif, encore plus chez Kafû, ces deux écrits tiennent plus du conte érotique que de la nouvelle...

Le secret de la petite chambre.

Dans ce très court conte, 19 pages, Kafû nous conte la première rencontre d'un homme avec une geisha qui deviendra sa femme dans une okiya - une maison de rendez-vous.

Alors qu'il se promenait un jour dans un ancien hanamashi - un quartier des plaisirs, il tombe que une ancienne okiya qui est en vente. Il l'achète aussitôt, sans beaucoup réfléchir. En retapissant une petite pièce de quatre tatamis et demi, il découvre sur le papier des cloisons coulissantes des lignes griffonnées... Dont il nous fait le récit. C'est le récit de sa première nuit avec la geisha et de ses efforts pour rendre la dame folle de lui.

A garder en mémoire en lisant la nouvelle, ce récit tourné, entièrement sur le plaisir des deux sexes, car si le début est uniquement l'histoire d'un homme allant voir une prostituée, il se mue rapidement en une envie de l'homme de tout donner à la femme qui partage sa nuit, nous a été traduit par une femme...

Le roman a été plagié, spolié, censuré, oublié, redécouvert... et l'histoire de ces quelques pages méritent à elles-seules un roman...

La fille au chapeau rouge

La seconde nouvelle nous parvient dans un style totalement différent. Alors que le premier texte nous conte uniquement les ébats de deux personne dans un style totalement descriptif, presque scientifique, la fille... nous raconte une vraie histoire, et dont le sexe n'est qu'une composante. Ici, la rencontre de deux personne est réellement le fil conducteur, et l'attirance et la curiosité du jeune japonnais ajoute énormément à l'érotisme de la nouvelle.

Berlin, juste après la Grande Guerre, le pays est exsangue...Un étudiant japonais faisant ses études à Paris fait un court voyage à Berlin. Il parle français et anglais, mais uniquement une dizaine de mots en allemand, aussi a-t-il du mal à se faire comprendre. Quelle frustration pour un écrivain! A la recherche d'une fille pour passer la nuit, il voit une fille portant un chapeau rouge, visiblement pas une prostituée, à qui il propose une passe contre rémunération. Les deux jeunes gens décident de ce revoir une dernière fois peu après, et bien qu'il la paiera pour une nouvelle nuit avec elle, c'est une vraie forme de relation qui se forme entre eux deux, entre l'impossibilité de communiquer et l'attirance de l'un pour l'autre...

Cette nouvelle nous permet un voyage dans le Berlin de l'entre-deux-guerre, nous fait passer par Bahnhof Zoo à une période où il faisait bon s'y promener et nous montre les difficultés des allemands qui essaient de survivre difficilement à la plus grande crise de leur Histoire...

Cette nouvelle était parue dans les pages d'un groupe de pensée regroupant les plus grands penseurs japonais de l'entre-deux qui essayaient de parler librement et de réfléchir à l'amour et au sexe dans une période où tout cela était censuré, regroupant des écrivains, des médecins, des penseurs... Ce récit est un hommage à la jeune fille, écrit de retour au pays - on ne sait pas bien si Akutagawa n'a pas réellement vécu cette anecdote, les faits collent avec la vie de l'écrivain - mais on sent dans la plume à véritable plaisir de nous faire partager et de ce remémorer cette histoire... Et pour le lecteur, c'est un véritable plaisir de partager avec l'auteur ces moments.

Peinture de Augustin Zwiller - portait de trois quart de femme en rouge - Musée d'Altkirch

mardi 23 septembre 2008

Et en rentrant chez moi, un parfum capiteux et fleuri embaumait la pièce...

Connaissez-vous quelque chose de plus humiliant pour une grande personne que de se laisser publiquement déculotter par quelques feuilles de thé? Je vous avais il y a peu conter comment je m'étais laissé lamentablement souffleter par mon premier thé des rochers, mon Lao Jun Mei n°1 de la Maison des Trois Thés. Et comment en quelques tasses, on se serait cru dans la scène du combat de Cyrano... A la fin de l'envoi, je touche... Et moi, je me suis retrouvé dans l'inconfortable position du Vicomte de Valvert...

Moi qui pourtant m'enorgueillis d'un pareil appendice... Il me fallait réparer cet affront si cruel et laver un tel outrage... Alors ma grande toge rouge matée, et me sentant le courage revenir, il me fallait laver mon honneur, et apprivoiser ce vil renard sournois qui m'avait jeté à terre.

Les sourcils du grand-père... Quel drôle de nom pour ce thé à la puissance désarmante. Mais au final, il fallait juste l'apprivoiser, créer des lien comme disait le grand aviateur... Après quelques jours d'approches de plus en plus réussi, voici que samedi matin il me laissa approcher de lui et me montra toute sa grandeur.

Ce thé nous avait été présenté il y a quelques jours par Alain et faisait partie de sa dernière commande (quelques jours avant mon passage place Monge): visiblement, c'était l'inspiration du moment de Gilles. Et pourtant, pour un même thé, j'ai rencontré des saveurs légèrement différente. A ce demander où est la part de l'humain, la part de la feuille et la part de la préparation dans nos thés adorés...

Ne maîtrisant pas encore ces thés, je me suis donc tout naturellement reporté sur mon Gaiwan. Il va sans dire que d'ici peu je referais un essai en théière, mais pour l'instant, la marque du soufflet initial est encore rouge sur ma joue... Chat échaudé craint l'eau. Le seul inconvénient est que cela ne me permet pas de prolonger les infusions: au bout de la septième, il devient impossible de maintenir la température assez élevé plusieurs minutes...

Mais revenons-en au thé. Ce Rocher est le thé le plus torréfié que j'ai jamais goûté. Et cela se retrouvé tout naturellement dans ce merveilleux breuvage. Les feuilles sèches sont noir de jais et ont une odeur un peu piquante. A la première infusion, on sent des arômes de torréfaction, de type pain très fortement grillé, un tout petit peu de fumée, mais cela laisse très vite la place à des notes boulangères de pain sortant du four et de pâte à tarte assez présente. Au goût, c'est caramélisé et bien boisé, très rond et long en bouche, huileux même.

Mais c'est à la seconde infusion que ce thé se révèle. Dès que l'eau entre dans le gaiwan, une odeur de fleur lourde et capiteuse emplit la pièce (on est loin du lys et de l'orchidée, même la rose envoutante fait pâle figure). Les notes de torréfaction du début se sont estompées pour des notes pâtissières de pâte à tarte, de caramel et de Wiehnachtsbredla. Toutes ces notes se retrouvent au goût, mêlée à des notes boisées et un peu cireuses. Au fil des trois infusions suivantes, ce parfum fleuri grandit et prend le pas sur la pâtisserie. Derrière, des notes d'agrume très gourmandes apparaissent: de la délicieuse bergamote confite nuancées par l'acidité subtile et piquante du yuzu et l'amertume d'une pointe de cédrat.

Or on est samedi matin, et il faut bien succomber aux corvées hebdomadaires qui nous forcent à arrêter nos thés et à quitter notre nid douillet, laissant les feuilles reposer dans le gaiwan vide. Qu'à cela ne tienne... A mon retour, facétieux grand-père, n'espérez pas y échapper... Vous repasserez à la casserole. C'est à mon retour justement que j'ai eu une drôle de surprise. On avait troqué mon appartement, pour l'antre d'un parfumeur. Lorsque j'ai voulu l'ouvrir, la porte a volé en éclat et je me retrouvé abasourdi par l'odeur, comme si j'avais traversé un mur du son. Des senteurs de fleur partout!

Les trois dernières infusions (je n'ai pu en faire d'avantage dans mon gaiwan, la dernière, a duré deux minutes et demi, mais avait du être arrêtée bien avant par la température de l'eau qui chute irrémédiablement...) étaient en fait plus fruitées et on retrouvais les notes pâtissières qui s'étaient un peu estompées lors des premières infusions. C'était un peu moins capiteux, le parfum des fleurs qui embaumaient la pièce s'estompaient, à moins que l'odeur ambiante ne me permettait plus de les distinguer avec la même acuité. Au final, les feuilles au départ de la couleur du pain (très) grillé, ont repris un peu de verdure.

Ce thé a quelque-chose de magique dans sa puissance. Je suis heureux d'avoir pu affronter un adversaire aussi valeureux... Et espérons que mes expériences futures en feront un véritable ami...

lundi 22 septembre 2008

A la vietnamienne...

Aujourd'hui, c'était le dernier jour d'un de nos stagiaire vietnamien. Pour marquer le coup, entre des dizaines de plateaux remplis de fruits séchés ou confits, nous avons eu la chance de fêter l'occasion autour d'un thé vert de chez lui. Si je relate cette expérience, c'est que sa façon d'infuser le thé est très différente de nos habitudes.

Nous étions une petite dizaine, et pour l'occasion, il a fait infuser... cinquante grammes de thé, avec de l'eau très chaude, recouvrant à peine le thé, une infusion par tasse, pour moins de 10 secondes. Les feuilles sèches avaient une couleur bleu-gris, avec très peu de brisures. Les feuilles infusées sont très belles, pas cassées, d'un vert profond. La liqueur était d'un jaune fluo assez psychédélique. Les infusions se faisaient à l'infini... Ça reste proche de nos préparations en zhong, mais avec des quantités poussées à l'extrême et des temps infiniment courts...

Le thé -pas de la meilleur qualité selon lui, mais c'est tout ce qu'on peut trouver ici dans les marchés vietnamiens- était un peu herbeux, un peu sec, épicé et fleuri, ressemblant beaucoup aux thés verts chinois d'été en vrac que l'on trouve dans beaucoup de comptoirs. Une belle présence, de la rondeur et de l'astringence juste comme il faut. Ce n'est pas l'Evrest, mais ça reste un bon thé vert de tout les jours. Il m'avait fait goûté il y a quelques semaines un thé dont il avait emporté un kilo il y a un an en venant en France. D'une toute autre qualité. Il avait vieilli et n'avait pas été conservé dans les meilleurs conditions, mais on sentait bien que c'était un thé de grande qualité, comme on en trouve difficilement en France sans y mettre vraiment le prix.

On connais très peu le thé vietnamien, à part pour le thé vert de masse, mais ces expériences me prouve qu'il y a matière à découvrir, et que leurs jardins doivent receller de quelques merveilles insoupçonnées...

mercredi 17 septembre 2008

Déjà?

Entre deux livres
Et au chant d'un thé versé
Un journal grandit

Ça y est! Ça fait trois saisons que ce journal de lecture est né, qu'il grandit et s'enrichit de mes expériences de lecteur. Depuis peu, il me permet aussi de vous conter mon voyage initiatique au pays des thés chinois... Tant de voyages accompli, de choses découvertes: de livres, de thés... Et tant de choses qu'il me tarde de découvrir. Plus j'avance dans ce carnet de voyage que l'on fait en restant chez soi, plus j'ai envie de partir à la découverte... Voici qu'au bout de neuf mois, j'ai réussi à vivre et à vous faire partager cent voyages différents. En attendant le prochain post pour une nouvelle centaine de voyages littéraires et théinés...

lundi 15 septembre 2008

Après un long tunnel, la lumière... Premiers combat avec les thés des rochers

Nouveau voyage au pays du thé: après Taïwan et ses merveilles crémeuses et fleuries, après le Yunnan et ses raretés anciennes, après le Guangdong et ses merveilleux vieux théiers solitaires, j'avais depuis quelques temps envie d'aller voir du côté du Fujian et des Wu Yi Yan Cha, les thés des rochers. Je dois, l'avouer, dans ces envies de découvertes, ils sont des blogs qui n'y sont pas pour rien... Les intéressés se reconnaîtront je pense...

Six septembre: premier samedi après la réouverture de l'antre de Maître Tseng... Date immanquable, et hautement dangereuse pour mes finances - j'avais déjà au courant de ce début de mois fait une sacrément belle commande chez Yunnan Sourcing. Je ressort de ce magasin des secrets, conseillé par Gilles, avec un Lao Jun Mei et un thé qui a fait couler de l'encre et provoqué une génération spontanée de commentaire, leur fameuse cinquième grande toge rouge. Auquel s'est rajouté une merveille dont je vous reparlerais sous peu, le Mi Lan Xiang 5...

C'est parti pour le voyage.

Mon premier contact avec les thés des Rochers, le soir, à la lumière des bougies, devant mon Lao Jun Mei. Essai en théière. Dosage léger, enfin autant que pour un Dan Cong léger. Infusion longue: 30''+10 secondes à chaque fois.

Mais la magie n'opère pas. Le thé a de la puissance, comme je n'en n'avais jamais rencontré chez un oolong, rond, boisé, mais fumé et très sec... Je ne sens que la torréfaction. Au loin, c'est comme si des notes subtiles se présentaient à moi, mais je n'arrive pas à les percevoir, comme si le thé était aphone et tentait de me crier une vérité qui ne voulais pas sortir. Le lendemain, rebelotte!

J'essaie ma grande toge rouge, en variant les dosage, avec des infusions beaucoup plus courtes. Le thé est plat, sans grand reliefs: même boisé, même sécheresse, mêmes cris aphones. Je ne comprends pas, je ne peux pas être tellement dans le faux! Je n'ai plus raté autant un thé depuis si longtemps. Et voilà que les thés que l'on encense tant me laisse autant de marbre? Il y a quelque chose qui cloche. Et pourtant dans la théière réchauffée, les feuilles encore sèches embaument des notes si agréable!

Il faut faire quelque chose. Face à ces doutes, je décide de revenir humblement aux bases, je laisse quelques jours s'écouler où je retourne à mes pu ehr, à mon baozhong, pour prendre du courage pour ce combat décisif contre l'Inconnu. Je m'arme de mon Gaïwan . Un chant ancien me vient en tête:

Voyez cela, je vois mon père,
Voyez cela, je vois ma mère, mes soeurs et mes frères.
Voyez cela, je vois tous mes ancêtres qui sont assis et me regardent.
Et voilà, voilà qu'ils m'appellent,
et me demandent de prendre place à leur coté,

dans le palais de Walhalla, là où les braves vivent à jamais.

Petit hommage à un chant guerrier norrois et au groupe Tyr

Le combat peut commencer! Contre le Da Hong Pao n°5... Environ 4 grammes de feuilles (je n'ai pas plus de précision). Les feuilles ont une forte odeur, qui prend au nez... pâtissier, un peu piquant...

Préchauffage de mon gaïwan, assez long, au point qu'il soit à peine maniable sans se brûler les doigts. Rinçage très léger des feuilles, juste pour qu'elles s'hydratent, qu'elles se dépoussièrent.
Des tasses lourdes en céladon, voici le tantô que j'ai choisi. Si le combat échoue, je ne perdrais pas mon honneur, je n'aurais plus qu'à enfoncer ma lame dans l'abdomen et y faire une croix pour libérer mon âme. Avec le vainqueur pour témoin.

Pour m'aider, j'ai choisi de m'armer de wen xiang bei comme bouclier, la tasse à sentir, chose de plus en plus rare pour moi, car je le trouve trop analytique pour mes thés taïwanais... J'y préfère le palais au nez.

La tension est à son paroxysme, regardant dans les yeux de mon adversaire, je pouvais voir ma propre peur.

Première infusion:

L'eau juste au ras des feuilles, infusion courte, temps inconnu, avec le couvercle du gaibei comme seule mesure. Le thé est rouge orangé. La liqueur laisse apprécier des odeurs boisée et pâtissières de pâte à tarte levée légèrement sablée (celle qu'on utilise traditionnellement pour la zwatchkawai). Ou bien une pâte à tarte sablée comme on en fait par chezmoi, épaisse, avec autant de noisette et de noix que de farine, le chocolat en moins (car chez moi dans la pâte à Linzertart, il y a du chocolat...) quelque chose de très gourmand.

Passage donc par la tasse à sentir. Et là chose étonnant. Au départ, ce sont les notes de torréfactions qui ressortent: un peu fumée, très boisée. Puis ce sont les notes caramélisée qui viennent (pas du salidou comme pour le Dong Ding de Stéphane, du vrais caramel). Elles sont suivies de notes pâtissières, des notes de tarte, de fuits secs un peu, de boulangerie (pain levé). Et enfin des fruits confits, du coing et de la prune... Le thé s'est révélé. L'étonnant dans tout cela, c'est l'ordre d'arrivée, totalement inversé par rapport aux thé taïwanais que je connais qui font d'abord ressortir le fleuri puis le fruité et enfin le caramel, la cacahouète et la noix de coco...

La liqueur à une puissance inégalée. Le combat est rude, je ne sais pas encore qui vaincra, mais j'ai trouvé le point faible de l'adversaire. Le thé développe des goûts boisés et pâtissiers très forts, et un fort côté rond et cireux, huileux, un peu camphré. D'un autre côté, cette aphonie reprochée est encore un peu là, mais beaucoup moins. D'habitude, les oolongs que j'affectionne ont une grande légèreté et un subtilité adorable, comme une aile de papillon ou le parfum d'une fleur que l'on respire à la corolle, il demandent de la douceur pour se révéler. Ce thé est un combat, au milieu de la plaine, Austerlitz, ou Waterloo, selon le côté où l'on se trouve... Et au milieu de ce vacarme des canons et des fusils, c'est comme si un cri d'enfant se levait, ténue, mais prenant, et j'ai envie de découvrir l'enfant, mais pour l'instant, son cris est encore indéfini... Où est-il, que dit-il? Le thé a encore à m'apprendre, je n'ai pas encore vu sa botte secrète.

Infusions suivantes:

Après ce choc frontal initial, la quantité d'eau dans le gaibei a dû augmenter, les temps d'infusion aussi, les notes décrites sont bien là, toujours aussi présente. La puissance aussi, presque submergente. Avec les infusions, le thé commence à s'assagir. La puissance s'estompe peu à peu, la rondeur aussi, le boisé s'atténue, mais le thé est toujours très présent en bouche, la note ténue prend de l'importance, sans que je ne puisse la définir...

Cinq en infusions en tout. Le combat devra s'achever tel quel, sans vainqueur, sans vaincu, le status quo. Je n'en puis plus, le thé non plus. Chacun a donné tout ce qu'il pouvais... Fin de la bataille.

On reportera à une expérience plus poussée le choc décisif. Mais aucun des deux n'est sorti indemne.

dimanche 14 septembre 2008

Une si jolie robe...

Lorsque Miao Yan et Ming se rencontrent, l'attirance est immédiate. Pourtant elles ont bien peu de choses en commun, si ce n'est qu'elles étudient dans la même université de Canton. Ming a dix-sept ans. Elle est naïve et solitaire. Fille de professeurs en université qui ont durement subi la révolution culturelle, ils ont été envoyés dans une ferme retranchée où elle a mené une enfance bercée par les rares livres interdits que ses parents ont pu sauver. Aussi elle vit dans un monde fait de livre, de musique et d'imagination. Miao Yan a vingt-quatre ans. Elle appartient à la minorité Miao, une minorité paysanne pauvre du nord du Yunnan. Elle est belle, sexy, rebelle, provocante et manipulatrice. Les deux jeunes filles appartiennent à des mondes totalement différents qui ne se rencontre que très rarement. Leur rencontre sera brève, intense et changera à tout jamais la vie de Ming. Ce livre est l'histoire débordante de passion, de vitalité et d'espoir d'une amitié jusque-boutiste, troublante à souhait, frisant à de nombreuses reprises avec une relation amoureuse... une amitié adolescente ordinaire quoi!

La quatrième de couverture ment un peu en insistant sur l'homosexualité de leur relation; même si toute l'histoire tourne autour de l'ambiguïté de leur amitié, c'est la subtilité et l'originalité de leur amitié que je retiendrais. Ce livre est aussi un témoignage impressionnant de l'éducation des filles en Chine, du peu qu'elles savent de la vie. Pour Ming et ses amies/colocataires, le choc de l'arrivée à l'université est impressionnant.

J'ai lu ce livre parce que Célia venait de le lire, qu'elle me le conseillait, et qu'elle voulais avoir mon avis... Ce livre est tout simplement magnifique. L'écriture est simple forte, beaucoup plus européenne que les autres romans asiatiques que je lis en ce moment. L'auteur Wu Fan, a écrit ce roman en anglais pour s'habituer à sa nouvelle langue. Étonnamment, son histoire ressemble énormément à l'histoire de Ming: ses origines, son passage par l'université Sun Yatsen, son départ pour les états unis vers la fin des années 90 pour les Etats-Unis.

Une histoire que je vous conseille! Un vrai coup de cœur pour moi. J'ai hâte de découvrir d'autres livre d'elle dès qu'ils sortiront... Ici, un petit interview de l'auteur, en anglais.

La rentrée littéraire commence visiblement bien pour moi!

vendredi 12 septembre 2008

Je veux devenir moine zen

Ces derniers temps, il y a de nombreuses choses dont j'ai envie de parler sur ce blog: mes lectures récentes (et moins récentes aussi), au moins 5 livres, mes dernières acquisitions à la maison des trois thés et ma découverte des thés des rochers... Et je ne sais pas par où commencer! Et je sais encore moins comment m'y prendre. Lorsqu'on ajoute à cela un planning très chargé au boulot. Voilà: deux semaines de black-out complet sur ce blog.


Mais bon, je viens d'attraper un bout, et il va falloir tirer pour voir si quelque chose vient. Commençons par ce court roman de Miura Kiyohiro: je veux devenir moine zen.


Très tôt, pour l'éloigner de la maison et de ses mauvaises fréquentation, le père de Ryôta Kimura emmène son fils au monastère pendant ses séances de zazen (méditation bouddhique). Là-bas, Ryôta est comme transformé. L'enfant turbulent apprend et maîtrise la dure discipline zen plus vite et mieux que beaucoup d'adultes. Au point que c'est lui qui le dimanche tire son père au monastère. Tout en restant un innommable cancre dans le cadre de l'école et de la famille.

« Le jour où mon fils m’a déclaré : « Je veux devenir moine zen ! », je suis tombé des nues. C’était un dimanche matin du début du printemps, alors que je me rendais comme à l’accoutumée à une séance de zazen, où j’avais pris l’habitude de l’emmener. Il venait à peine d’entreprendre sa troisième année de l’école primaire. »


Mais lorsque votre fils âgé de huit ans, un enfant comme les autres, dissipé à l'école et turbulent à la maison, gavé de hamburgers et de séries télévisées, vous annonce qu'il veut devenir moine zen, comment ne pas tomber des nues ? Pourtant, ce ne sont pas des paroles en l'air et Ryôta laissera derrière lui sa maison, sa famille et jusqu'à ses propres nom et prénom pour accomplir sa vocation et suivre la prêtresse dans sa volonté de le former pour prendre sa relève. Et la formation de bonze est un vrai sacerdoce, encore plus pour les parents que pour l'enfant qui se voient totalement déchargés de leur rôle de parents, même sur le plan juridique et qui ne peuvent même plus le voir. Un livre comme un kôan zen (une histoire ou une maxime servant de base à la méditation) .


D'une simplicité désarmante, il raconte avec une allégresse et un humour dévastateurs comment la décision d'un petit garçon va bousculer toutes les certitudes de ses parents, changer leur rapport au monde et les éveiller malgré eux à des vérités qu'ils n'avaient jamais soupçonnées.


C'est un livre étrange, intrigant. Le père me donne souvent envie de le baffer pour le faire réagir. Ai-je aimé le lire? Oh que oui! Déjà pour sa portée documentaire qui nous fait rentrer nous occidentaux dans un monde que l'on ne connaît pas du tout. Pour son écriture aussi, juste et d'une simplicité désarmante. Pour son originalité et son étrangeté enfin. Mais l'ai-je aimé, et le recommanderai-je? Je ne sais pas, je ne l'ai pas encore totalement digéré et je ne sais pas si je le ferai jamais. Un commentaire en suspens. Si vous l'avez lu, qu'en pensez vous? J'aimerai avoir vos avis.


Notez que ce livre à reçu le prix Akutagawa (le Goncourt japonnais). Akutagawa dont je vous parlerai très prochainement mais pour quelque chose de totalement différent, mais alors TOTALEMENT!

mercredi 3 septembre 2008

D'anciens écus dorés aussi vieux que moi... si vieux que les épeires aiment se reféter dedans

Laissez-moi vous parler du premier bon pu ehr cuit que j'ai jamais bu. En provenance directe de Stéphane, ce thé a été récolté en 1984: autant dire qu'il est aussi vieux que moi... Des bougeons de pu ehr cuit compressés en écus de 10 grammes conservés dans des feuilles de bamboo. Pas de photo du thé, j'en avais commandé qu'un écu pour goûter. Et il ne me restait ce matin qu'un demi-écu. Boire un thé aussi vieux que soi, ça fait réfléchir, rationaliser, on se sent tout petit...

Même une épeire feuille de chêne mâle s'est prise au jeu de mes réflexions matinales et s'est laissé refléter dans la liqueur sombre (cherchez bien!).

Les écus sont uniquement composés de bourgeons très petits, très fins, facilement séparables. Ils sont séparés en deux par une petite vallée (comme un jeton, mais en plus grand) donc facilement sécables.

Les deux essais précédents, j'avais fait infuser un quart d'écus dans mon petit gaïwan. Cette fois-ci j'ai voulus l'essayer dans ma petite théière. En faisant le compte, il me reste un quart d'écu. Les infusions sont relativement longues, minimum deux minute, puis 30 secondes de plus à chaque fois, 6 infusions. La liqueur est très sombre, presque chocolat, très dense, on ne vois pas à travers. Des odeurs de sous-bois après l'orage (bois, écorce, mousse, terre...) s'échappent de la tasse et de la théière vide dont on ouvre le couvercle.

Le thé est très doux, crémeux, rond en bouche. Avec un goût fort de mousse, de racine et d'humus. On retrouve aussi des notes boisées et des rappels forts d'aromates qui se développe au fil des infusions (romarin, laurier): c'est pour cela que j'ai rajouté quelques feuilles sur la photo. Au fur et à mesure des infusions, la couleur s'affadit. De même, le crémeux s'estompe et se transforme en douceur, presque en mielleux.

Avec ce thé, j'ai pu utiliser deux méthodes de préparation: l'une au gaïwan, l'autre dans ma petite Zhuni ancienne. Le gaïwan nous donne un thé très analytique, très précis, on peut bien discerner les différents goûts. Le thé développe aussi des arômes cuirés, les essences d'aromates sont plus doux. Malgré toutes ces qualités, ce thé manque un peu de persistance en bouche; même s'il est rond et crémeux, cette sensation agréable s'estompe rapidement.

L'utilisation de la théière offre un thé un peu différents: on perd un peu en précision, les notes sont moins marquées, la mousse est plus présente, les odeurs cuirées disparaissent, les odeurs d'aromates prennent de plus en plus de présence au fil des infusions et on gagne énormément en crémeux, en rondeur et en longueur.

Ce que j'adore dans ce thé, c'est sa pureté: il n'y a aucune odeur ou goût "off", aucune odeur de champignon, de moisissure ou de fumée. Le goût boisé, c'est de la racine et des aromates méditerranéens, des goûts originaux. Tout ceci en fait un shu doux et très agréable, de très bonne qualité et qui a très bien vieilli. Son caractère est présent mais doux et pas du tout intrusif: Le corps n'est pas extraordinaire, la puissance n'est pas exceptionnel mais grandit un peu avec les aromates.. C'est une force tranquille, une force qui va... (Tiens, tout cela me donne des inspirations hugoliennes, hernaniennes)

Un thé qui est devenu pour moi un référentiel pour juger d'un pu ehr cuit, un point de comparaison pour savoir si l'on a face à soi un thé qui vaut le coup.

lundi 1 septembre 2008

Les soldats de l'éternité

Chine, 722 avant notre ère...

Le royaume millénaire des Zhou est mourant.

Attaqués de toute parts par des peuples tokhariens, les derniers princes morcellent à chaque génération le royaume Zhou entre ses fils. Ces centaines de petits états vassaux sont tenus par des membres de la dynastie, soit par des familles alliées. C'est la grande période féodale chinoise qui commence, les "Printemps et Automnes". Au fil des années, par annexion, par invasion ou bien par vassalité, le royaume est gouverné par douze grands états, douze grandes familles qui se réunissent pour diriger le royaume. Cet équilibre précaire durera trois cent ans, jusqu'à ce que les sept familles encore au pouvoir se lancent dans une période meutrière de 200 ans: ce sont les royaumes combattants.

Sept familles se partagent le centre de la Chine: les Chu, les Han, le Qi, les Wei, les Han, les Qin et les Zhao. Un équilibre encore plus précaire se forme, où le royaume Zhao sortent du lot. Mais le royaume le plus excentré, peuplé de demi-barbare (des non-chinois) commence à prendre de l'importance. Aidés de la pensée des philosophes légistes, ils organisent leur pays, font bâtir des fortifications surprenantes, des routes, améliorent leur agriculture...

C'est alors qu'un jeune prince, Ying Zheng, va arriver au pouvoir en 240 avec une seule idée en tête: unis sur terre, un seul état, un empire. En 230, les Han tombent, en 228, ce sont les Zhao, puis chaque année un autre état. Rien arrête le jeune prince sanguinaire, mais visionnaire. Il deviendra le premier empereur de Chine, le premier empereur de la dynastie Qin (T'sin), Qin Shi Huang Di.

Mais le prince n'en resta pas là: il remit en vigueur le système politique laissé par les Zhou sept siècles auparavant, il unifiera les poids, les mesures, la monnaie. Et surtout, il laissera à la Chine un témoignage inoubliable, une écriture unifiée, une muraille... et un tombeau enseveli...

Dès le début de son règne, Qin Shi Huang Di fit creuser et arranger le mont Li. Puis il mobilisa 70000 ouvriers qui furent castrés pour accomplir les travaux suivants. On creusa le sol jusqu'à l'eau, on coula du bronze pour envelopper le sarcophage. On traça la carte de l'empire; avec du mercure on reproduisit les rivières et la mer; une machinerie les mettait en mouvement. Avec de la graisse de phoques, on fabriqua des torches capables de brûler pendant très longtemps...


Sima Qian

C'est en 1974, que deux paysans chinois découvrent par le plus grand des hasard, l'armée enterrée de 7 000 soldats de l'Empereur Qin. Quelques-uns sont pour deux semaines encore exposés à la Pinacothèque de Paris, à la Madeleine. Une exposition magnifique.

Pendant une heure, laissez vous entrainer dans la Chine des Printemps et Automnes, des Royaumes Combatants et du premier empereur :
  • Des cloches cérémonielles



  • Des vases à offrandes

  • des plats à offrandes
  • des miroirs, des amulettes et des broches de ceintures, des bi, des plaques de jade, de la monnaie...
Et surtout, quelques unes des statues millénaires.

Si vous en avez l'occasion, allez-y! Mais attention au monde...

Ca m'a aussi rappelé un film magnifique que j'avais bien aimé: Hero avec Jet Li (2002)